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La «culture de l’annulation», une nouvelle arme pour les militants?

«Annuler la culture» est une pratique controversée dont l’objectif est de dénoncer publiquement sur les réseaux sociaux, en vue de leur ostracisation, «des individus ou des groupes responsables d’actions ou de comportements perçus comme problématiques». – iStock / City Presse

  • Avec le poids croissant des réseaux sociaux et l’émergence de nouvelles plateformes, l’activisme en ligne s’est développé ces dernières années et a pris de nouvelles formes.
  • Dans la deuxième partie de cette série, «20 Minutes» s’intéresse à la multiplication des appels au boycott visant notamment les personnalités, phénomène que ses détracteurs désignent par les termes péjoratifs de «culture d’annulation» («culture de l’effacement»).
  • «Ce sont des militants qui n’utilisent ni plus ni moins l’espace public pour exprimer leurs idées, leurs revendications. La plupart d’entre eux sont issus de mouvements antiracistes et féministes », explique Baptiste Kotras, chercheur en sociologie numérique à Lisis.

Grandes marques, stars, cadres, mais aussi anonymes… Personne ne semble à l’abri des appels au boycott sur les réseaux sociaux. Ce phénomène très controversé, qui selon ses détracteurs consiste à «annuler» une personne ou une organisation, est une pratique née aux Etats-Unis dont l’objectif est de dénoncer publiquement sur les réseaux sociaux des individus ou des groupes responsables d’actions ou de comportements perçus comme «problématiques».

Écrivain JK Rowling, auteur de la célèbre saga Harry Potter, payé le prix pour
cette « culture d’annulation », comme le désignent ses adversaires,
pour des propos jugés insultants envers les personnes transgenres. Star YouTuber Shane Dawson, qui a publié des vidéos racistes il y a quelques années, ou
chanteuse Lana Del Rey, qui a posté un message Instagram critiquant les artistes noirs, a également été pris par la vague «d’annulation». Les partisans de ces appels au boycott y voient une nouvelle forme d’activisme – le plus souvent en ligne – et l’opportunité de «peser» enfin sur la société. En revanche, leurs détracteurs le voient
une forme de censure, un procès médiatique qui remplacerait la justice.

Véritable activisme ou nouvelle forme de censure?

«Ce sont des militants qui n’utilisent ni plus ni moins l’espace public pour exprimer leurs idées, leurs revendications. La plupart proviennent de mouvements antiracistes et féministes », Explique Baptiste Kotras, chercheur en sociologie numérique à Lisis (laboratoire de recherche interdisciplinaire dédié à l’étude des sciences et des innovations dans les sociétés) de l’Université Paris-Est. «C’est donc une forme d’activisme, qui peut parfois être le résultat d’une agrégation ou d’une coordination de personnes pour faire avancer une cause. Mais ce n’est en aucun cas une nouvelle forme de censure », précise le chercheur.

« Activisme sur Twitter, c’est facile. En quelques secondes, vous pouvez attaquer quelqu’un ou faire circuler une pétition pour être renvoyé ou mis sur liste noire », a déclaré Richard Ford, professeur de droit à Stanford. L’universitaire, qui fait partie
plus de 150 personnalités du monde des arts et des sciences signataires d’une chronique publiée début juillet sur le site internet du magazine Harper’s, s’inquiète de cette nouvelle forme de mobilisation en ligne, mais reconnaît néanmoins qu ‘«une partie de cet activisme sur les réseaux sociaux est constructive et légitime».

« Le dernier recours d’une population sans voix autre qu’Internet »

De nombreux opposants à ces appels au boycott dénoncent une hausse du  » intolérance aux opinions dissidentes », Et une« tendance à dissoudre des questions politiques complexes en une moralité aveuglante. «Mais pour de nombreux militants,« annuler la culture »reste une arme redoutable de mobilisation en ligne.« C’est un terme ambigu, une sorte de grand fourre-tout. Mais ce dont je me souviens, c’est qu’aujourd’hui des personnes en minorité ou qui n’avaient pas accès à la prise de parole en public a maintenant l’occasion de s’exprimer et de montrer son engagement.
via les réseaux sociaux. C’est notamment le cas des personnes transgenres », explique la militante antiraciste et féministe Rokhaya Diallo, interrogée sur France Inter, qui a ainsi noté un léger décalage dans l’équilibre des pouvoirs entre les minorités et le reste de la société. « Le fait que les espaces leur soient ouverts leur permet d’apporter leur réflexion au débat public, et de protester
contre la discrimination », Ajoute l’essayiste, qui souligne que« les personnes dites «annulées» continuent de pouvoir s’exprimer publiquement ».

Derrière la « culture de l’annulation », « il y a aussi et surtout des gens qui souhaitent s’exprimer de manière plus éthique, et qui veulent que les personnalités publiques soient plus responsables de leurs paroles. On assiste plutôt à une diversification des discours », aussi explique Ketsia Mutombo, présidente et co-fondatrice de l’association. Les féministes contre la cyberintimidation. « C’est le dernier recours d’une population exaspérée et marginalisée sans voix ni pouvoir autre qu’Internet. » Pour l’essayiste et historienne Laure Murat, #BlackLivesMatter et #MeToo font partie des principaux mouvements qui prétendent être «la culture d’annulation». Cette forme d’activisme est également devenue «l’épée à double tranchant des« clicktivistes »», explique-t-elle dans une tribune au Monde.

L’émergence d’un nouveau pouvoir?

Beaucoup voient désormais dans «la culture d’annulation» l’émergence d’un nouveau pouvoir, désormais accessible au plus grand nombre alors qu’il était jusqu’à présent l’exclusivité d’une poignée. Pour Laure Murat, «la« culture de l’annulation »est l’outil d’une contestation Politique de plus en plus intense, des minorités et de la gauche radicale américaine, rejoignant la lutte pour les droits civils et le féminisme, exaspérés par l’impunité du pouvoir et la passivité des institutions face au racisme et à l’injustice sociale, au sexisme,
homophobie, transphobie, entre autres. « 

«L’époque où les personnes traitées injustement ne pouvaient pas répondre aux opinions rétrogrades et toxiques est révolue», explique également le New York Times Lisa Nakamura, professeur à l’Université du Michigan, qui a étudié la «culture d’annulation». Comme d’autres, l’enseignant voit aussi dans ce mouvement, qui a eu son premier moment de gloire avec le mouvement #Moi aussi en 2017, un spectre beaucoup plus large, qui comprend désormais des manifestations ordinaires de comportement discriminatoire. Elle cite l’exemple de
Amy Cooper, filmé à Central Park [New York] appelez la police à arrêter un homme noir sans raison valable. « La » culture de l’annulation « est finalement ce qui se produit lorsque les victimes du racisme et du sexisme ne sont plus silencieuses. »

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François Faure

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