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Pourquoi les médicaments anticancéreux sont-ils particulièrement touchés par les pénuries?

La délocalisation de la production de certains médicaments vers la France ou l’Europe pourrait permettre de lutter contre les pénuries fréquentes qui affectent de nombreux médicaments, et donc de nombreux patients. – STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

  • En 2019, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a reçu près de 1500 signalements de médicaments en difficulté ou en rupture d’approvisionnement.
  • Les médicaments génériques, très bon marché mais importants en cancérologie, sont particulièrement touchés.
  • La Ligue contre le cancer a lancé lundi une campagne de mobilisation pour donner la parole aux patients, les premiers concernés.

«Chers patients, pour votre médicament, veuillez patienter.  » La Ligue contre le cancer a sonné l’alarme, ce lundi,
dans une nouvelle campagne de sensibilisation sur la pénurie de médicaments, en particulier ceux utilisés dans les traitements contre le cancer.

Face à l’aggravation de la pénurie de médicaments, la Ligue contre le cancer a choisi de donner la parole aux patients, premières victimes du manque de stocks. Quels médicaments sont concernés? Pourquoi les traitements contre le cancer sont-ils affectés? Cette pénurie est-elle liée à l’épidémie de
coronavirus ? 20 minutes fait le point et vous explique tout.

  • Pourquoi parle-t-on de pénuries? Quels médicaments sont concernés?

En 2019, l’Agence nationale de sécurité des médicaments et des produits de santé (ANSM) a reçu 1499 rapports de drogues en difficulté ou en rupture d’approvisionnement, « un record avec 34 fois plus de pénuries rapportées qu’en 2008 », précise la Ligue contre le cancer dans un communiqué. Parmi eux, des médicaments génériques, très bon marché mais importants
en cancérologie, sont particulièrement concernés. «Les premiers touchés sont toujours des médicaments bon marché, des innovations thérapeutiques qui coûtent la peau des fesses, on ne manque jamais», s’indigne le professeur Jean-Paul Vernant, hématologue engagé dans la bataille.

L’un des médicaments touchés est le BCG intravésical, un médicament utilisé dans le traitement du cancer de la vessie non invasif. « Dans un certain nombre de cas, certains cancers de la vessie parfaitement maîtrisés par des instillations intravésicales ont dû, en raison de la pénurie de ces médicaments, subir une cystectomie totale (ablation de la vessie) » Avec des conséquences qui perturbent la vie des patients, rapporte Axel Kahn, président de la Ligue contre le cancer. «Ces médicaments, s’ils ne sont pas disponibles, peuvent avoir des conséquences dramatiques: perte d’opportunités pour les patients», ajoute Amandine Courtin, responsable du plaidoyer chez La Ligue contre le cancer.

  • Quelles sont les raisons de cette pénurie?

Pour la plupart des traitements concernés par des difficultés ou des ruptures d’approvisionnement, ce sont des «médicaments pour lesquels le brevet est tombé dans le domaine public, donc il y a plus de concurrence, et forcément moins d’intérêt économique et de rentabilité. Pour un médicament fabriqué par un seul laboratoire », explique Amandine Courtin.« Petit à petit, les laboratoires arrêtent la production de ces médicaments pour se consacrer à d’autres médicaments, exclusifs, donc plus rentables », poursuit l’avocat.

L’autre problème est la délocalisation de la production de substances actives. «À l’heure actuelle, 60% des matières premières des médicaments sont fabriquées en Inde et en Chine. L’Inde et la Chine étant particulièrement touchées par l’épidémie, la production et l’exportation de certains médicaments ou de certaines substances ont été tout simplement suspendues avec l’épidémie », explique Amandine Courtin. Pour Gérard Raymond, président de France Assos Santé, c’est «le circuit d’approvisionnement et de prévision qui n’est pas optimal. Quant à la distribution, elle doit absolument être revue ».

  • Cette pénurie est-elle liée à l’épidémie de coronavirus?

Et l’épidémie de coronavirus fait la lumière sur les pénuries masques, blouses ou respirateurs,
les pénuries de médicaments n’étaient « en aucun cas créées par le Covid », Rappelle le professeur Axel Kahn. C’est « vraiment un problème qui est lié à la structure économique du marché des médicaments », et qui concerne des « médicaments essentiels », principalement des génériques, très bon marché.

Si Gérard Raymond partage cet avis, il considère néanmoins que l’épidémie « a été un indicateur et un accélérateur de ce problème ». «Nous avons réalisé que certains médicaments n’étaient plus produits en Chine et en Inde. Et avec l’épidémie, la production et l’exportation de ces médicaments ont tout simplement été suspendues », ajoute Amandine Courtin.

  • Que propose La Ligue contre le cancer?

Cependant, en France, il existe bel et bien une législation. De nouvelles mesures, introduites dans le code de la santé publique en 2016, obligent les industriels à assurer un approvisionnement adapté pour couvrir les besoins des patients en France. La Ligue contre le cancer réclame notamment des sanctions financières contre les laboratoires qui n’assurent pas cet approvisionnement.

Depuis plusieurs années, des associations mènent également campagne pour forcer les industriels européens à tenir stocks de médicaments à quatre mois «Pour éviter les ruptures prolongées», explique le professeur Axel Kahn. «Les médicaments ne sont pas un bien de consommation commun. Nous ne choisissons pas de prendre un médicament, mais si nous ne l’avons pas, nous savons que cela peut avoir des effets dramatiques dans certains cas », prévient Amandine Courtin. La création d’un système d’information sur les pénuries de médicaments actuelles, leurs durées ou encore les médicaments disponibles pour remplacer le produit manquant a également été sollicitée par les associations. «Parfois, les médecins ne savent même pas si les médicaments qu’ils prescrivent sont disponibles», a protesté Amandine Courtin.

Reste la question de la délocalisation des usines de production de drogue. Parmi les solutions avancées, pour éviter une trop grande dépendance vis-à-vis de l’Inde et de la Chine, certaines associations plaident pour la création d’un établissement public qui fabriquerait au prix de revient. «C’est formidable de penser à délocaliser la production de médicaments, mais cela prendra plusieurs années. On ne pourra pas le faire du jour au lendemain, poursuit Amandine Courtin. La question est: que faisons-nous en attendant ces patients sans traitement? « 



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Alveré Paquet

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