Science

La chaleur produite par la Terre est (finalement) d’origine radioactive

Le Piton de la Fournaise en éruption (2015) – © Greg de Serra – Flickr CC BY-NC-SA

  • Nous savons désormais que la chaleur de la Terre est principalement de la radioactivité, selon une étude publiée par notre partenaire The Conversation.
  • L’étude des géoneutrinos, particules produites par notre planète, offre une méthode originale d’investigation des profondeurs de la Terre.
  • L’analyse de ce phénomène a été réalisée par François Vannucci, chercheur en physique des particules, spécialiste des neutrinos (Université de Paris).

La Terre se réchauffe. Nous savons que la température intérieure augmente lorsque nous nous enfonçons dans la croûte terrestre. À 25 km de profondeur, il atteint 750 degrés; au centre, il est estimé à 4000 ℃. Les sources chaudes sont connues depuis l’Antiquité et aujourd’hui l’énergie géothermique est utilisée pour chauffer les appartements. Les éruptions volcaniques, les geysers, les tremblements de terre sont tous des signes d’énergie interne.
Nous mesurons un flux thermique moyen émis par la surface de 87 milliwatts par m2, soit un dix millième de la puissance reçue du Soleil, pour une puissance totale émise par la Terre de 47 mètres carrés, soit plusieurs milliers de centrales nucléaires. L’origine est longtemps restée un mystère, on sait maintenant que la plupart est la radioactivité.

Comment naissent les atomes?

Pour comprendre l’origine de cette chaleur, il faut remonter à la genèse des éléments atomiques.

Le Big Bang a produit de la matière sous forme de protons, neutrons, électrons et neutrinos. Il y a environ 370 000 ans, les premiers atomes se sont formés, les protons attirant les électrons pour donner de l’hydrogène. D’autres noyaux un peu plus lourds, le deutérium, l’hélium, se sont produits en parallèle, c’est ce qu’on appelle le nucléosynthèse primordiale.

Le chemin était beaucoup plus laborieux pour créer les éléments lourds. Ce n’est que lorsque la formation des étoiles et les noyaux lourds sont nés par accrétion dans le chaudron stellaire; c’est ici nucléosynthèse stellaire qui a pris des milliards d’années de gestation. Ensuite, ces éléments se sont répandus dans l’espace au moment de la mort des étoiles pour se retrouver capturés au niveau des planètes.

La composition de la Terre est donc très compliquée et on y retrouve, heureusement pour notre existence, tous les éléments naturels de l’hydrogène, l’atome le plus simple, aux atomes lourds comme l’uranium en passant par le carbone, le fer … et tous les table de Mendeleïev. Les entrailles de la Terre contiennent la panoplie d’éléments atomiques rassemblés en différentes couches qui se répartissent selon une structure d’oignon.

Notre planète contient tous les éléments représentés dans le tableau périodique des éléments © Scaler & Michka – Wikipedia CC BY-SA

Nous connaissons peu l’intérieur de notre planète, les mines les plus profondes atteignent au maximum 10 km alors que son rayon est de 6 500 km. Plus de connaissances expérimentales internes sont obtenues par des mesures sismiques. À partir de ces données, les géologues ont divisé la structure terrestre en différentes strates: au centre le noyau, présentant une partie interne solide et une partie externe liquide, puis viennent les couches interne et externe et enfin la croûte. Mais la Terre, en raison de sa composition en éléments lourds et instables, est radioactive, ce qui suggère une méthode complémentaire originale pour examiner son intérieur et mieux comprendre d’où provient sa chaleur.

Qu’est-ce que la radioactivité?

Médicaments et cosmétiques contenant une petite dose de radium, au début du XXe siècle © Rama – Wikipedia CC BY-SA

La radioactivité est un phénomène naturel très courant et inévitable. Tout sur Terre est radioactif, c’est-à-dire produit spontanément des particules élémentaires, et nous émettons nous-mêmes quelques milliers de particules chaque seconde. L’opinion publique n’en avait pas du tout peur du temps de Marie Curie. Au contraire, nous avons loué ses bienfaits: nous avons acheté des crèmes de beauté certifiées radioactives et nous avons glorifié les propriétés des eaux minérales, comme évoqué dans la littérature de l’époque. Maurice Leblanc écrit à propos d’une source thermale qui sauve Arsène Lupin lors d’une de ses aventures:

«L’eau contient des principes d’énergie et de puissance qui en font vraiment une fontaine de jouvence, des principes dérivés d’une radioactivité étonnante. »(Maurice Leblanc, La jeune femme aux yeux verts, 1927)

Différents types de radioactivité sont connus, chacun donnant lieu à une émission spontanée de particules et libérant de l’énergie qui se révèle par un dépôt de chaleur. Pour ce qui suit, nous nous intéresserons à la désintégration de type «beta» qui émet un électron accompagné d’un neutrino. L’électron est absorbé dès sa production, mais le neutrino a la propriété très remarquable de pouvoir traverser beaucoup de matière sans être arrêté. La Terre entière est transparente aux neutrinos et donc la détection des neutrinos générés par les désintégrations radioactives à l’intérieur de la Terre permet, en principe, de jeter un œil à ce qui se passe à grande profondeur.

Les Geoneutrinos, le nom donné à ces particules produites par notre planète, fournissent donc une méthode originale d’investigation des profondeurs de la Terre. Ils doivent encore être détectés, ce qui est un tour de force car un neutrino réagit très peu avec la matière. Néanmoins, des détecteurs suffisamment massifs existent et se sont avérés appropriés pour de telles recherches.

Carte mondiale des neutrinos terrestres © SM Usman et al. / Agence américaine de géospatiale et de renseignement / AGM2015

Les principales sources de géoneutrinos sont des éléments lourds à très longue durée de vie, dont les propriétés sont précisément connues grâce à des études en laboratoire. Ce sont principalement les éléments uranium, thorium et potassium. Par exemple, la désintégration du noyau d’uranium 238 donne une moyenne de 6 neutrinos en même temps qu’elle libère 52 mégaélectronvolts d’énergie portée par les particules émises qui vont s’arrêter dans la matière et déposer de la chaleur. Chaque neutrino transporte une énergie d’environ 2 mégaélectronvolts. Rappelons qu’une énergie de 1 mégaélectronvolt correspond, en unités officielles, à 1,6 10-13 joules. Cela signifie que la chaleur totale de la Terre nécessite environ 1 025 désintégrations par seconde. Peut-on détecter ces neutrinos?

Comment voir les géoneutrinos?

En pratique, on se limite à faire une mesure globale au point où se trouve l’appareil, qui voit les flux venant de toutes les directions. Il est alors compliqué d’obtenir les informations précises sur les origines, le sens d’arrivée ne peut être mesuré. Nous devons nous appuyer sur des modèles à partir desquels nous développons des simulations informatiques. Connaissant les spectres d’énergie de chaque mode de désintégration et modélisant la densité et la localisation des différentes strates géologiques contribuant au résultat final, nous extrayons un spectre global des neutrinos attendus et nous en déduisons le nombre d’événements prédits dans un détecteur donné. Ce nombre est encore très faible: il équivaut à une poignée d’événements par kilotonne de détecteur et par an.

Deux expériences ont récemment contribué à cette recherche: Kamland, un détecteur caché sous une montagne japonaise pesant 1000 tonnes et
Borexino installé dans une galerie creusée sous la montagne du Gran Sasso en Italie et pesant 280 tonnes. Dans les deux cas, le milieu sensible est constitué d’un «scintillateur liquide». En effet, pour
détecter les géoneutrinos ou
du cosmos, il faut mettre en œuvre une détection efficace aux basses énergies: c’est l’excitation d’atomes d’un liquide scintillant. Un neutrino interagit avec un proton et les particules produites sont révélées in fine par la lumière que nous savons repérer.

L’expérience Sno + utilise le détecteur Snolab au Canada, notamment pour détecter les géoneutrinos © SnoLab / Flickr

Kamland annonce plus de 100 événements et Borexino une vingtaine d’événements attribuables aux geoneutrinos avec des incertitudes de 20 à 30%. On ne sait pas remonter à leur point d’émission, mais cette mesure globale – bien qu’assez brute – suffit à montrer la concordance avec les prédictions des simulations dans la limite des faibles statistiques obtenues.

Ainsi, l’hypothèse avancé dans le passé la présence d’un réacteur nucléaire au centre de notre Terre, qui aurait été constitué d’une boule de craquage d’uranium comme dans les réacteurs produisant de l’électricité, est désormais exclue. La fission est un type de radioactivité qui n’est plus spontanée, mais simulée.

À l’avenir, nous prévoyons la contribution de nouveaux détecteurs plus efficaces en préparation au Canada, SNO +, et en Chine,
Junon, qui affinera nos connaissances sur les géoneutrinos.

«Loin d’être un appauvrissement, l’ajout à la chose visible de la chose invisible fait plus que l’enrichir, il lui donne un sens, il le complète. »(Paul Claudel, Positions et propositions, 1928).

Cette analyse a été rédigée par François Vannucci, chercheur en physique des particules, spécialiste des neutrinos (Université de Paris). L’article original a été publié sur le site Web de La conversation.

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Rolande Desroches

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